C’est dans son Auberge
montagnarde que la famille Buecher s’apprête à nous régaler, mais pas
seulement : dans cette salle moderne et à sa mesure, elle veut également
nous faire voyager, jouer et songer. Elle est immense, et pourtant très
intimiste, cette salle ; décorée sobrement mais avec une touche de
modernité, avec, par les fenêtres, une vue qui s’arrête à la forêt alentour,
mais dans les assiettes et les verres, une ouverture totale sur le monde.
Après ces quelques
« amusettes », dégustées dans l’article de ‘’mise en bouche’’ publié
hier sur ce média, on sait qu’on n’a pas fini d’être surpris et cela continue
avec ces quelques douces « broutilles ».
On finit donc notre
coupe de champagne avec les habituelles double-coupelles, reprenant quelques
envies du moment. Pour nous, en ce jour, ce fut, en haut, un carpaccio
transparent de gambas et une petite bille fluide de litchi, et dans celle du
bas, un palet de potimarron caramélisé, une mousse d’emmenthal et une cecina de
bœuf, qui, avec son côté salé, séché et légèrement fumé, répond bien à ses deux
compagnons. Ce deuxième service étant finalement moins étonnant et moins
intense que le premier, comme pour nous reposer et nous préparer à ce qui va
suivre.
Entrée
On entre de plein pied,
dès l’entrée, dans toute la créativité du Chef Sébastien Buecher : du foie
gras bien poêlé, de la citronnelle mousseuse, des endives au balsamique et des
coquillages…oui, dans une même assiette ! Et le pire, ou plutôt le
meilleur, c’est que ça fonctionne terriblement !
En bouche, on ressent le
vinaigre balsamique blanc d’entrée, qui enrobe l’amertume de l’endive, puis
viennent le foie gras et la citronnelle qui se complètent étonnement bien et
qui s’étirent en bouche avant que les coquillages poursuivent le tout.
Pourquoi ? A cause de la différence flagrante des textures, tout est plus
ou moins fondant, sauf les coques et les praires, qui vous forcent à mastiquer
plus longtemps et qui, donc, développent les saveurs et le plaisir. Toute la
volonté d’étonner, toute la liberté dans le geste et l’idée se trouvent déjà
dans cette première assiette aboutie et signée.
Foie gras poêlé et citronnelle, endive au balsamique blanc et coquillages marinés
Vin
Pour trouver l’accord
avec cette association, il faut chercher des vins atypiques, comme ce pinot
gris 2010 de J.P. Schmitt à Scherwiller, sur le Rittersberg. Un vin avec un nez
assez classique, sur des notes fumées, mais c’est en bouche qu’il se fait plus
étonnant. Malgré son assez jeune âge et un millésime puissant, il a déjà de la
patine et comme une trace d’évolution. On y trouve une pointe de cire qui parle au
foie gras et de réduction, due sans doute au peu de protection du vin en
souffre, qui se joue du balsamique et de l’endive.
Suite
La suite était déjà
tentante à l’intitulé, mais quand l’assiette nous est apportée, on en reste
bouche bée.
Il y a des plats dont on
est certain qu’ils seront délicieux, rien qu’à les regarder, et celui-là en
est. Le veau est absolument fermier, et il provient de prés situé à trois
kilomètres de là ; il a la chair pleine de vie et, elle n’est donc, ni
uniforme, ni uni-colorisé. Vu la folle qualité du produit, du coup on a presque
peur que cela soit trop assaisonné, mais le miel est léger, en truffe comme en
sucre, la pomme verte est en dés millimétrés et la féta ne fait que prolonger
la mâche et, donc, la sensation de goût. L’huile d’olive truffée est une des
composantes les plus marquées du plat finalement mais, heureusement, sans le
côté indus’.
On ressent la franchise
dans ce plat et l’envie du beau produit, et, quand une assiette représente
totalement notre envie du moment, qu’elle va plus loin encore que notre
imagination pourtant fertile et exigeante ne l’avait rêvée, on a rien à
ajouter.
Carpaccio de veau, miel de truffes, granny smith et fêta
Vin
Avec une telle assiette,
le vin, même joli, est forcément en retrait, et ce fut le cas de ce Côte du
Roussillon. L’accord est bon pourtant, car il a les épaules nécessaires et une
belle petite persistance. Il garde une fraîcheur au nez, et un côté fruits à
chair blanche (poire, pomme) en bouche, il est parfaitement exécuté et bien
élevé, plus policé que beaucoup de vin de son appellation.
Encore
A ce point sur notre
lancée, le plat qui suit et qui nous a fait longuement hésiter à la découverte
des intitulés, finit par nous faire moins peur. Il faut dire que Guillaume
Buecher, le maître d’hôtel, était là pour nous tenter et nous proposer, le cas
échéant, de le changer. Mais si on est là, c’est pour déguster, et s’ils ont
fait de cette formule un petit menu-dégustation, c’est bien pour que nous nous
laissions tenter.
Ce plat est un exercice
de style et de confrontation entre l’iode et le fumé, un plat qui évoque
l’hiver finissant et le printemps qu’on attend. Les huîtres sont pochées et
donc raffermies, elles trempent dans un bouillon bien marqué par le Serrano,
sans grossièreté, et accompagné de rogaton de thon, ton sur ton sur le fumé.
L’iode arrive vite et fort une fois qu’on mâche l’huître, le bouillon adoucit
le tout et prépare pour le fumé, puissant une fois qu’on croque dans le thon.
Soyons clair, nous
n’aurions jamais pris ce plat à la carte, n’appréciant pas l’huître, mais j’ai
toujours pensé que s’il n’y avait qu’un seul lieu où goûter des produits
mal-aimés, c’est bien chez un Chef de confiance, qui plus est dans un menu
pléthorique. Alors, même si le plat se finit plus difficilement que les autres,
je suis ravi d’être passé outre mes
réticences et d’avoir redécouvert ce genre de sensation.
Huître pochée, bouillon de Serrano, thon fumé et citron
Vin
Pour contrebalancer ces
envolées profondes, la sommellerie a la bonne idée de nous faire découvrir un
cépage de bourgogne, planté par un spécialiste de la Loire, aux portes du
sancerrois, en pleine Côte de la Charité…C’est un vin bien ordonné qui commence
par livrer le cépage, sans aucune trace de terroir apparente. Mais l’apport de
l’iode du plat nous ramène pile dans la région et ce vin de pays de 2009 a la
bouche bien faite et droite, sans trop de rondeur et avec une petite touche de
fumé en finale.
Poisson
Vous vouliez encore
ressentir le souffle frais de l’inventivité ? Attention vous allez être servis
avec ce filet de maquereau, mariné une nuit, à
peine cuit et servi avec toute une palette de condiments. Chaque bouchée peut
ainsi différer, mais on tente la première sans rien et on est étonné par le
côté rustique du poisson. En fait, le côté gastronomique est vraiment apporté
par tous ces condiments : du croquant du concombre-radis en salpicon sur
le dessus, du fruité de la poudre de carotte et de la framboise déshydratée à
droite et du terre/mer avec un beau jus de veau à gauche, sans oublier le
plaisir intense apporté par ces câpres frits. On s’amuse littéralement avec
cette assiette, et ce, même si on n’est pas un amateur de maquereau !
Filet de maquereau mariné, condiment concombre-radis et tempura de câpres
Vin
On revient dans la
région avec plaisir et ce riesling grand cru Zotzenberg de Gilg à Mittelbergheim,
en millésime 2002. Il a un nez évolué mais sans trop de force, la bouche rend
plus d’intensité qui va bien avec tous ces goûts. C’est un joli riesling, avec
le souvenir de la tendresse ajourée par plus d’une dizaine d’années de
bouteille.
Viande
Après tout cela et en
cette saison, l’arrivée d’une belle petite pomme de ris de veau est un délice
sans nom, surtout quand on sait que cet abat est une des spécialités de la
maison. Le ris est superbe de blancheur, avec un goût et une texture vraiment
passe-partout, qui ne choquera pas le débutant et régalera le mordu, car on est
vraiment plus proche de la chair que des abats.
Il est légèrement croûté
pour améliorer encore le plaisir, et posé sur un céleri traité en risotto, avec
le parmesan qu’il faut pour rappeler le plat, mais aucune trace de riz. Le
coulis de laitue fait le lien et le quinoa sert de faire-valoir craquant.
Encore un plat à ne choisir que dans les bons restaurants, mais quand on en a
envie, c’est un de ceux qui apportent toujours beaucoup de plaisir et de
l’équilibre.
Coeur de ris de veau, céleri et coulis de laitue, quinoa soufflé
Vin
Pour accompagner cette
dernière spécialité salée, on nous sort de nos ornières avec un vin étranger,
un rouge d’Espagne, de la région de Tarragone.
Ce vin de l’appellation
« Montsant » va bien, il a la rondeur suffisante pour épouser la
texture du ris de veau et assez de fruit rouge tendu, type cassis, pour rendre
la dégustation agréable, sans ce côté surfait que l’on apprécie peu dans
certains vins espagnols.
Dessert
Des fois qu’on en ait
pas assez, ou plus surement pour préparer les papilles à passer au sucré, on
vous porte une petite bouchée chocolatée, mais pas seulement : le cadre
est de chocolat noir mais le cœur est une crème de wasabi…c’est lui qui arrive
en premier en bouche, mais elle est ensuite nappée par la ganache bien cacaotée.
Cube citron vert, crumble de vanille, ananas et glace yaourt
Le dessert qui arrive se
situe très justement « entre deux », un dessert où l’on ressent la
main du pâtissier mais aussi la réflexion du cuisinier, dont la structure
semble construite, pensée comme un plat.
Il y a toujours beaucoup
de composantes et de mariages possibles mais sans trop se disperser. Les cubes
sont citrons, crémeux, et le crumble est sec et bien vanillé et ils font la
colonne vertébrale de l’assiette.
A côté, une tuile-mangue
légère, des cubes de noix de coco rigolos, un sorbet yaourt qui caresse et des
cubes d’ananas perdus dans les nuages…Un dernier plat comme un menu, tout en
construction et envie de vous réveiller l’imagination et les papilles.
On finit ce repas
pléthorique, d’un rapport qualité/prix/plaisir proprement irrésistible, avec
une petite réglette de mignardises qu’on picore sans trop y penser, en
accompagnant notre café.
C’est peu de dire que
l’on est un peu parti dans tous les sens durant cette formule jeunes, mais on
est toujours revenu vers le plaisir, celui de la gourmandise pour partie, celui
de la découverte pour tout le reste. On a été gentiment bousculé, puis
tendrement cajolé, mais, en tout état de cause, on s’est sérieusement régalé et
on apprécie, en ces périodes plus que jamais, une telle générosité…
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