Présentez-nous
les moments marquants de votre parcours dans la profession.
Bien sûr j’ai découvert l’univers de la restauration grâce à mes parents,
mais mon apprentissage, chez Jean Albrecht à Rhinau, fut également très
important ; c’est là-bas, je crois, que j’ai eu le véritable déclic qui m’a
donné l’envie et la niaque pour me lancer corps et âme dans ce métier.
Monsieur Albrecht était un grand maître d’apprentissage car il nous
faisait totalement confiance, il ne refusait rien à ses apprentis, encourageant
nos essais, nous poussant à toucher à tout et son restaurant, avec le grand
jardin de plantes et de fleurs, et sa cuisine novatrice, était très intéressant
pour nous, les jeunes.
Ensuite, ce qui m’a bien marqué aussi ce furent ces deux saisons
passées à Courchevel, chez Jean-Pierre Jacob, au « Bateau Ivre ». Là,
c’était une expérience totalement différente : je sortais de chez Monsieur
Mischler (au Cheval Blanc à Lembach) où nous avions appris à être très
structuré, très carré, et, à Courchevel, j’arrive et je découvre, après le
boulot, tout l’esprit de la station, avec le ski, les saisonniers, la fête et
tous ces clients du restaurant qui ne pensent qu’au plaisir pur…
Et puis, il y forcement l’obtention de mon étoile Michelin en 2005,
qui fut vraiment un immense moment de fierté pour toute l’équipe. C’était très
important pour moi également, car c’était une autre validation, après celle de
mes clients, de ma démarche et de ma cuisine, qui est tout de même très créative
et personnelle. De plus cela nous a aidés en nous apportant une meilleure visibilité,
ce qui est très important quand on est situé dans un petit village comme La
Vancelle. Cette confiance supplémentaire, apportée par le guide et, surtout,
par les clients, m’a donné une plus grande liberté en cuisine.
En
cette saison, quels sont vos produits et plats préférés ?
En ce moment, avec la
venue d’un printemps tellement attendu, on se réveille les papilles, on sort de
produits très terriens pour des saveurs plus fraîches, comme le concombre, le
radis, la rhubarbe ou les premières fraises gariguettes.
Cette semaine, par
exemple, je lance un filet de rouget, avec un risotto à l’encre de seiche, du
foie gras chaud en dés et des cubes de rhubarbe, à peine pochée pour garder un
maximum de croquant et d’acidité, qui viendra équilibrer la puissance du rouget
et la pesanteur du foie gras.
Donnez-nous
un petit conseil de pros pour rendre notre cuisine de tous les
jours meilleure.
J’aime beaucoup le
poisson, et je me rends compte qu’il y a une astuce que les amateurs
n’utilisent pas beaucoup : le temps de repos après cuisson pour le poisson.
Pour moi, c’est comme pour la viande, je laisse toujours le même temps de repos
que le temps de cuisson, surtout pour les beaux filets de bar par exemple.
Sinon vous savez que
j’aime aussi les associations terre-mer que je mets en avant très souvent dans
mes créations. Je vous encourage à essayer chez vous, car cela ouvre une nouvelle
dimension. Il ne sert à rien de faire trop compliqué, mais vous pouvez réaliser
une sauce passionnante par exemple en faisant une réduction de crustacés (langoustines,
pourquoi pas crevettes) ; vous faites revenir les carcasses et tout ce qui
n’est pas servi avec de l’eau, des petits légumes et des aromates, et vous
laissez réduire quasiment à sec, vous passez cela au chinois (ou une autre
passoire fine), puis vous mixez avec un jus brun de veau. Cette sauce fait
merveille avec un filet de rouget, car elle lui apporte le côté « viandeux »
du jus de veau qui concourt magnifiquement avec la puissance de goût des chairs
du rouget, puissance encore souligné par l’iode du crustacé qui revient en fin
de bouche.
Citez-nous
un des jeunes employés de la maison dont vous êtes particulièrement fier.
Mes employés
sont tous importants et j’espère qu’ils le savent car j’essaie de le leur
montrer mais je voudrais vous citer trois jeunes qui m’accompagnent.
Lucas Engel,
22 ans, qui était à la Pommeraie avant cela (Relais et Châteaux à Sélestat) et
qui est mon second depuis deux ans maintenant. Céline Salvadori, 26 ans, ma
chef pâtissière, qui n’avait jamais fait de grande maison avant d’arriver ici,
ce que j’apprécie aussi car cela lui permet d’être plus libre dans ses
créations. Enfin Fabien Steib, 32 ans, notre chef sommelier, qui est avec nous
depuis plus de quinze ans. Notre équipe est vraiment très jeune, et ça aide
pour faire passer le message que je souhaite transmettre avec ma cuisine.
Avez-vous
un souvenir, une anecdote à relater à la jeune génération de gastronomes ?
Ce souvenir est très
frais, car il date d’il y a quelques mois à peine, mais ce repas nous à très
fortement touchés avec Guillaume, mon frère : nous sommes allés manger à
El Celler Can Roca, un trois étoiles à Gérone, au Nord-Est de l’Espagne.
Ce repas est un des plus
grands que j’ai jamais faits ; dès le patio on est pris dans l’esprit de
la maison et une fois l’apéritif passé, on est sûr que cela va être
inoubliable. L’amuse-bouche représente toujours les cinq derniers pays visités par
les trois frères Roca ; pour nous ce fut le Pérou, le Mexique, La Chine,
le Japon et un petit dernier mais, à chaque bouchée, on est propulsé en plein
cœur du goût du pays, c’est vraiment impressionnant. Je me souviens aussi d’une
langue d’oursin aux petits pois, prise dans une gelée d’eau de mer, un rapport
entre fraîcheur et puissance tout bonnement extraordinaire.
Il y a une immense
technicité dans leur cuisine mais, elle est totalement invisible et au service
du terroir ; c’est souvent ce qui est le plus dur à réaliser et le plus
agréable à déguster à mon avis.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire