Sur les traces, avec les conseils et la science de Jean, son père,
Alexis use de tout l’enthousiasme de sa jeunesse et des techniques
d’aujourd’hui pour amener le naturel vers une certaine forme de modernité
gastronomique.
Sa femme veille à l’accueil, sa maman au service, et c’est son père
qui se charge des cultures au jardin et du ramassage des plantes. Ce dernier
propose même à ses clients, certaines fins de journée durant les beaux jours,
de l’accompagner à la recherche des herbes qui font la renommée du lieu, dans
ce coin préservé de l’Alsace.
Cette promenade achèvera de nous mettre en appétit, et une fois rentré
dans la grande salle lumineuse, il ne nous tardera plus qu’à piocher dans cette
carte qui fait la part belle à une douce confrontation entre le meilleur de la
tradition rhénane et l’épure-nature, pour une cuisine saine au possible.
Mise en bouche
Cela se ressentira tout au long du repas, et nous terminerons cet
apéritif avec un service en deux touches étonnantes : un espuma
d’heliantis au bouillon de volaille et serpolet ainsi qu’une glace d’anchois,
eau de tomate et friand basilic-parmesan. Rien que ça !
L’espuma est très aérien et marqué par un léger goût d’artichaut, et
le sorbet d’anchois pacojeté est agréablement dosé, on est même surpris que ça
soit l’eau de tomate qui semble être la plus puissante.
Puis, comme une dernière préparation à l’esprit de la maison, on nous
amène un petit nem de homard accompagné d’un aigre-doux de fleurs de sureau, une
formidable sauce très soulignée par ces fleurs finalement très agréablement
fruitées.
Entrée
Le palais et l’esprit ainsi éveillés, le Chef décide que l’on est apte
à se confronter à une entrée sauvage, une valse d’herbes et de plantes qui
entourent un tartare de bœuf à la cardamine.
La cardamine, celle des prés, est assez piquante, elle est préparée
mixée en moutarde avec un peu de cassis pour donner de la couleur et un peu
plus de fraîcheur encore. Elle sert à donner un accent pointu à cette viande,
bien battue et tout de même coupée au couteau, ce qui lui confère une parfaite
texture. Mais cette viande est surtout propulsée par cette salade folle et
sauvage qui trône autour : on y retrouve de l’oseille, de la valériane, de
la mâche sauvage et de la pimprenelle, du mouron des oiseaux et même du silène
enflé, entre autres choses…on retrouve surtout ses papilles aiguisées par tant
de saveurs nouvelles, et finalement, ce déluge végétal semble renforcer le goût
de la viande fraîche et crue.
Le tartare de bœuf, fausse moutarde à la cardamine des prés
Valse d'herbes et fleurs sauvages et de notre culture
prunelles comme des olives
Vins
Avec ce plat pour le moins original, on nous propose un accord qui ne
l’est pas moins, avec un Château Brondelle 2010, un Bordeaux blanc de Graves,
assez gras justement et assez élevé pour supporter ce torrent végétal, et avec
un peu de fruité pour adoucir la bouche. L’accord est étonnant car le gras
du vin se renforce en mangeant la viande crue, et l’extrême fraîcheur des
herbes ne lui pose aucun problème.
Pour la suite, nous revenons dans la région, avec la très sérieuse
maison Weinbach-Faller, avec ce Pinot Blanc Réserve 2011, très simple et tendre
en entrée de bouche et qui gagne quelque peu en puissance ensuite.
Entrée (suite)
On poursuit notre découverte de la carte par une autre entrée qui est
un des plats-phares du lieu et que le Chef souhaite me faire goûter. Il s’agit
d’un savant mélange d’inspiration italo-asiatique, sur une base classique et
une réalisation résolument modernisée.
La raviole est gourmande, avec sa pâte agréablement visqueuse et
pleine à craquer d’un mélange de grenouille et de mousseline de sandre, elles sont plongées dans un beurre très léger,
surmonté d’échalotes frites et s’enorgueillissent de billes de
persil. Si le ‘’moléculaire’’ fait une apparition remarquée dans le plat, il
l’est tout en finesse et il complète évidemment cette assiette captivante,
comme un échange entre différents horizons et sensibilités, entre tradition et
modernité.
Ravioles de grenouilles
caviar de persil plat
Beurre noisette et échalotes croustillantes
Poisson
Même si les amateurs de viande ne sont pas en reste, on semble préférer
le poisson, peut-être parce que l’accord avec les légumes, fruits et herbes de
saison se fait plus évident. On choisit alors le dos de bar, qui est des
plus sauvages avec sa chair ferme et serrée et sa peau est agréablement
grillée.
Il repose sur un lit d’orange et de dé de tomate qui accompagne des
rouelles d’heliantis, cueilli quelques heures plus tôt dans le jardin. Cette
sorte de topinambour est un peu plus doux que son cousin et il est tellement
frais qu’il se fait presque fruité, ce qui est parfait pour compléter le
mélange douceur-acidité des agrumes et du beurre blanc.
Dos de bar sauvage
rôti
Aux héliantis de notre
potager
Beurre mousseux
tomate et orange
Vin
Pour faire le lien et l’accord, on nous a sélectionné un vin régional, composé d’une alliance à part égale entre le pinot gris et le riesling. Ce Clos du Val d’Eléon 2009 du fameux Domaine Kreydenweiss est désormais totalement intégré et équilibré, et aucun de ces deux nobles cépages ne prend le dessus sur l’autre. Il a peut-être un nez sur le pinot gris et une bouche un peu plus riesling, mais il a surtout besoin des deux qualités pour accompagner le muscle du poisson, le jeu de tendresse-vivacité de l’orange et de la sauce, ainsi que la franchise de ce légume qui n’a plus grand-chose de terrien.
Dessert
Une des grandes spécialités de cette adresse, c’est la profusion de
desserts que l’on vous propose sous forme de douce avalanche. On commence en ce
jour par trois verrines très jolies et bien différentes, la première est une
neige citron-aspérule du meilleur effet, un travail tout en fraîcheur, sur
l’éphémère et l’évanescent. La suivante est une griotte confite, fleur de
prunelle en mousse et du streussel sur le dessus, avec un effet joliment
miellé ; la dernière est un exercice de style et de retenue avec une
panacotta framboise et du caviar de violette. La violette est du jardin, comme
toujours, le caviar est moléculaire et cela donne un résultat étonnant, tendre,
naturel, léger, presque trop pour nous qui sommes tellement habitués à
l’extrait de violette.
On continue avec les premières fraises au chocolat Dulcey (le petit
nouveau de Valrhona) parfumé à la reine des prés. Ce chocolat onctueux est en
fait traité en crème glacée, bien remonté par la plante, avec ce petit côté
amande-amer qui va très bien avec la fraise.
Tartelette Dulcey à la reine des prés et fraises
Et pour en finir, avec le café, nous est encore déposée une farandole
de créations, comme cette guimauve à la tagette, ce choux à l’aspérule, ce
macaron à l’argouse, ainsi que le moelleux choco-tanaisie et une dernière
sucette à l’argouse. Pour ceux qui peuvent encore, on terminera ce véritable
festival par de passionnants chocolats-maison qui sont chacun imprimés et
parfumés avec une des herbes et plantes de saison, déjà dégustées durant le
repas.
Toutes les bonnes choses ont une fin, et il est temps de reprendre le chemin d’une promenade digestive, en pensant à cette adresse très classique de prime abord, pourtant fort spectaculaire dans l’assiette, et en se disant que, décidément, dans ce pays gastronomique qu’est l’Alsace, il y en a vraiment pour tous les goûts et toutes les sensibilités !
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