mardi 7 mai 2013

Au Vieux Couvent, à la carte, compte rendu épicurien

Dans la famille Albrecht, on conjugue le végétal et le plaisir de recevoir à tous les temps, avec sincérité, et c’est sans doute pour cela que la cuisine y est étoilée depuis plus de trente années.
Sur les traces, avec les conseils et la science de Jean, son père, Alexis use de tout l’enthousiasme de sa jeunesse et des techniques d’aujourd’hui pour amener le naturel vers une certaine forme de modernité gastronomique.

Sa femme veille à l’accueil, sa maman au service, et c’est son père qui se charge des cultures au jardin et du ramassage des plantes. Ce dernier propose même à ses clients, certaines fins de journée durant les beaux jours, de l’accompagner à la recherche des herbes qui font la renommée du lieu, dans ce coin préservé de l’Alsace.
Cette promenade achèvera de nous mettre en appétit, et une fois rentré dans la grande salle lumineuse, il ne nous tardera plus qu’à piocher dans cette carte qui fait la part belle à une douce confrontation entre le meilleur de la tradition rhénane et l’épure-nature, pour une cuisine saine au possible.







Mise en bouche

Cela se ressentira tout au long du repas, et nous terminerons cet apéritif avec un service en deux touches étonnantes : un espuma d’heliantis au bouillon de volaille et serpolet ainsi qu’une glace d’anchois, eau de tomate et friand basilic-parmesan. Rien que ça !
L’espuma est très aérien et marqué par un léger goût d’artichaut, et le sorbet d’anchois pacojeté est agréablement dosé, on est même surpris que ça soit l’eau de tomate qui semble être la plus puissante.

Puis, comme une dernière préparation à l’esprit de la maison, on nous amène un petit nem de homard accompagné d’un aigre-doux de fleurs de sureau, une formidable sauce très soulignée par ces fleurs finalement très agréablement fruitées.





Entrée

Le palais et l’esprit ainsi éveillés, le Chef décide que l’on est apte à se confronter à une entrée sauvage, une valse d’herbes et de plantes qui entourent un tartare de bœuf à la cardamine.
La cardamine, celle des prés, est assez piquante, elle est préparée mixée en moutarde avec un peu de cassis pour donner de la couleur et un peu plus de fraîcheur encore. Elle sert à donner un accent pointu à cette viande, bien battue et tout de même coupée au couteau, ce qui lui confère une parfaite texture. Mais cette viande est surtout propulsée par cette salade folle et sauvage qui trône autour : on y retrouve de l’oseille, de la valériane, de la mâche sauvage et de la pimprenelle, du mouron des oiseaux et même du silène enflé, entre autres choses…on retrouve surtout ses papilles aiguisées par tant de saveurs nouvelles, et finalement, ce déluge végétal semble renforcer le goût de la viande fraîche et crue.

Le tartare de bœuf, fausse moutarde à la cardamine des prés
Valse d'herbes et fleurs sauvages et de notre culture prunelles comme des olives 







Vins

Avec ce plat pour le moins original, on nous propose un accord qui ne l’est pas moins, avec un Château Brondelle 2010, un Bordeaux blanc de Graves, assez gras justement et assez élevé pour supporter ce torrent végétal, et avec un peu de fruité pour adoucir la bouche. L’accord est étonnant car le gras du vin se renforce en mangeant la viande crue, et l’extrême fraîcheur des herbes ne lui pose aucun problème.

Pour la suite, nous revenons dans la région, avec la très sérieuse maison Weinbach-Faller, avec ce Pinot Blanc Réserve 2011, très simple et tendre en entrée de bouche et qui gagne quelque peu en puissance ensuite.



 Entrée (suite)


On poursuit notre découverte de la carte par une autre entrée qui est un des plats-phares du lieu et que le Chef souhaite me faire goûter. Il s’agit d’un savant mélange d’inspiration italo-asiatique, sur une base classique et une réalisation résolument modernisée.

La raviole est gourmande, avec sa pâte agréablement visqueuse et pleine à craquer d’un mélange de grenouille et de mousseline de sandre, elles sont plongées dans un beurre très léger, surmonté d’échalotes frites et   s’enorgueillissent de billes de persil. Si le ‘’moléculaire’’ fait une apparition remarquée dans le plat, il l’est tout en finesse et il complète évidemment cette assiette captivante, comme un échange entre différents horizons et sensibilités, entre tradition et modernité.

Ravioles de grenouilles caviar de persil plat
Beurre noisette et échalotes croustillantes 








Poisson

Même si les amateurs de viande ne sont pas en reste, on semble préférer le poisson, peut-être parce que l’accord avec les légumes, fruits et herbes de saison se fait plus évident. On choisit alors le dos de bar, qui  est des plus sauvages avec sa chair ferme et serrée et sa peau est agréablement grillée.
Il repose sur un lit d’orange et de dé de tomate qui accompagne des rouelles d’heliantis, cueilli quelques heures plus tôt dans le jardin. Cette sorte de topinambour est un peu plus doux que son cousin et il est tellement frais qu’il se fait presque fruité, ce qui est parfait pour compléter le mélange douceur-acidité des agrumes et du beurre blanc. 


 Dos de bar sauvage rôti 
Aux héliantis de notre potager 
 Beurre mousseux tomate et orange




Vin

Pour faire le lien et l’accord, on nous a sélectionné un vin régional, composé d’une alliance à part égale entre le pinot gris et le riesling. Ce Clos du Val d’Eléon 2009 du fameux Domaine Kreydenweiss est désormais totalement intégré et équilibré, et aucun de ces deux nobles cépages ne prend le dessus sur l’autre. Il a peut-être un nez sur le pinot gris et une bouche un peu plus riesling, mais il a surtout besoin des deux qualités pour accompagner le muscle du poisson, le jeu de tendresse-vivacité de l’orange et de la sauce, ainsi que la franchise de ce légume qui n’a plus grand-chose de terrien.






Dessert

Une des grandes spécialités de cette adresse, c’est la profusion de desserts que l’on vous propose sous forme de douce avalanche. On commence en ce jour par trois verrines très jolies et bien différentes, la première est une neige citron-aspérule du meilleur effet, un travail tout en fraîcheur, sur l’éphémère et l’évanescent. La suivante est une griotte confite, fleur de prunelle en mousse et du streussel sur le dessus, avec un effet joliment miellé ; la dernière est un exercice de style et de retenue avec une panacotta framboise et du caviar de violette. La violette est du jardin, comme toujours, le caviar est moléculaire et cela donne un résultat étonnant, tendre, naturel, léger, presque trop pour nous qui sommes tellement habitués à l’extrait de violette.





On continue avec les premières fraises au chocolat Dulcey (le petit nouveau de Valrhona) parfumé à la reine des prés. Ce chocolat onctueux est en fait traité en crème glacée, bien remonté par la plante, avec ce petit côté amande-amer qui va très bien avec la fraise. 






Tartelette Dulcey à la reine des prés et fraises


Et pour en finir, avec le café, nous est encore déposée une farandole de créations, comme cette guimauve à la tagette, ce choux à l’aspérule, ce macaron à l’argouse, ainsi que le moelleux choco-tanaisie et une dernière sucette à l’argouse. Pour ceux qui peuvent encore, on terminera ce véritable festival par de passionnants chocolats-maison qui sont chacun imprimés et parfumés avec une des herbes et plantes de saison, déjà dégustées durant le repas.





Toutes les bonnes choses ont une fin, et il est temps de reprendre le chemin d’une promenade digestive, en pensant à cette adresse très classique de prime abord, pourtant fort spectaculaire dans l’assiette, et en se disant que, décidément, dans ce pays gastronomique qu’est l’Alsace, il y en a vraiment pour tous les goûts et toutes les sensibilités !

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