Une fois installé dans
ce décor allégorique signé et modernisé par Patrick Jouin, on voit arriver une
mise en bouche plus importante, ce jour ce fut un morceau de cabillaud avec une
panure aux herbes, posé sur une mousseline de panais et entouré d’une émulsion
crevette-grise…ça y est, nous voilà complètement fondu dans le paysage.
Passons maintenant aux
choses impérieuses : on ne vient pas ici tous les jours - une fois par an
ou même par vie peu suffire, mais il FAUT l’avoir fait un jour - alors nous
allons goûter ce que la cuisine à dans le ventre, tentons le
menu-dégustation !
Entrées
froides et chaudes
On commence par ce faux
maki, un travail d’horloger tant la précision est de mise, le rouleau se
partage entre rivière, fontaine et océan. Il se scinde en deux, entre sandre et saumon, avec du
cresson pour faire le lien. Les choux-fleurs apportent un peu de croquant et
encore de la fraîcheur ; ils nous séparent d’une petite folie qui n’en est pas
vraiment une tant ce sorbet à l’anguille fumée est maîtrisé. Cette entrée en matière, comme une introduction nous montre toute
la maîtrise et la précision des cuisiniers-maison.
Le faux maki de sandre et saumon bio au cresson fontaine, grecque de chou-fleur aux algues et glace d'anguille fumée
Si la progression se
fait sans à-coup, l’entrée chaude qui suit pousse déjà loin le curseur :
le bar a la cuisson de la perfection, et il repose sur une autre image de cette
famille : la simplicité.
Comment faire plus élémentaire que ce léger ragoût poireau/ céleri branche/pomme de terre ?
On touche au but avec de
simple ingrédient et ce mariage redoutable
d’évidence. Le filet de bar est un peu petit, mais c’est pour mieux vous
régaler mes enfants…car il est surtout cuit à la perfection : une chair de
nacre, se détachant en forçant du bout de la fourchette, et une peau grillée à
souhait, juste à la limite du croûté. C’est vraiment comme cela et pas autrement
que ce poisson donne tout à mon goût. L’émulsion-bulots rajoute un trait de
marin mais c’est formidable de nous régaler à ce point avec une recette à
priori aussi simple.
Le filet de bar poêlé dans un bouillon de bulots aux poireaux et céleri branche croquant
Vins
En matière de jolis vins,
adaptés à la soif et aux envies de chacun, vous pouvez fermer les yeux et vous
reposer sur une équipe de sommellerie parmi les meilleures qui soient. Pascal Léonetti,
sous l’égide de Serge Dubs, sélectionne verres et bouteilles parfaitement adaptés.
Ce jour nous commençons par toute la minéralité des belles terres de
Ribeauvillé et d’un millésime pour amoureux du genre avec un Riesling GC Kirchberg
2008 de chez Henri Fuchs. Il accompagne agréablement le maki mais c’est sur le
bar que sa structure se met totalement au service du plat et que l’accord est
le plus agréable.
Et pour l’accord merveilleux, attendons le vin suivant, un Riesling Vendanges Tardives 1995 de Léon Beyer, avec le homard c’est formidable. La classe du vin fait qu’à chaque nouvelle bouchée il change quelque peu de visage pour épouser la dominante, en voilà une rare expérience œnologique.
Poisson
Parce que c’est effectivement
très loin d’être fini, ça ne fait même que commencer. Voici arriver le roi des crustacés : un
homard en cassolette, câliné par des girolles à la cuisson parfaite (persillées,
pas trop ; grillées, pas trop ; fermes, pas trop) et quelques
pistaches fraîches.Le tout se prélasse dans
un bouillon à l’orge perlé souligné au vermouth. Cette céréale oubliée fait bien plus que de la figuration et il nous
fait plaisir d’en re-goûter dans de telles conditions. Ce plat est superbe, les
sucs de carapace jouent avec ceux des sous-bois, le homard a la cuisson relâchée
et beaucoup de mâche, on en prend donc plein les papilles et la cuillère. A
chacune de celles-ci, une nouvelle facette se dévoile. Le jus est admirable car
totalement lisible et pourtant, impossible à reproduire chez soi.
La cassolette de homard à la pistache et aux girolles, parfumée au Vermouth
et servie en poterie de Dany Jung
Viande
Après cela il faudrait souffler,
redescendre sur terre, mais pas longtemps car arrive un des plats signatures de
la maison, dans sa « portion menu » certes mais quelle présence….
La
viande est rouge, le foie est blond, l’assiette exhale et a la beauté
gourmande.
La duxelles de choux-carottes-truffes
est un beau socle et ce plat est long en bouche comme un beau vin. En mâchant
la viande enrichie au foie d’oie (plus fin et fragile que celui de canard), son
goût devient de plus en plus prégnant. Le jus est corsé, la
truffe est plus absente qu’en saison et c’est bien normal, mais le plat reste
d’une efficacité redoutable.
Le tournedos de pigeon au chou, foie d'oie et truffes
Vin
Avec cette viande on me
propose un verre de Haut-Médoc du Château Peyrat-Fourthon 2005, une découverte
totale pour ma part mais c’est aussi pour cela qu’il est bon de laisser carte
blanche à ces grands sommeliers qui vous proposeront toujours une nouveauté au
juste prix. Ce vin est bien fait, avec un nez et une bouche entière, sans
lourdeur, dans les canons actuels, il fera bon ménage avec le pigeon.
Fromage-dessert
On a plus vraiment faim
mais comment passer le fromage, et surtout pourquoi ?
Alors on se laisse tenter par trois morceaux
au choix du serveur : deux chèvres des hauts de la région (Schmitt à
Lapoutroie, retenez ce nom, non de non), l’un plus frais, le suivant plus sec
et le dernier est un Chaource sérieusement affiné et bien gras, pour compenser.
Arrive ensuite un
pré-dessert tout en légèreté, avec une écume-bergamote chapeautant le tout,
elle disparaît en bouche en laissant sa trame d’agrume et de parfum, elle
laisse apparaître quelques bonbons : des mirabelles aux accents de
sauternes.
Les mirabelles d'Alsace pochées au sauternes et leur écume de bergamote
On finit alors par une
autre savoureuse obsession familiale : la pêche blanche, revue ici pour
l’été et traitée comme une reine. En une mousse sur une tartelette, enrobée de
pêche confite, surmontée d’une glace à la pêche. L’assiette est vraiment très
belle, l’amande appuie les saveurs de la pêche et fait de cette dernière
assiette un exercice de style pour une fin de menu-dégustation parfaitement de
saison, nous étions là à la fin d’un été chaud, rappelons-le.
Le péché mignon à la pêche blanche et amandes fraîches
Conclusion
Soyons sérieux et ne
partons pas sans avoir pioché dans les mignardises, tout en sirotant une infusion
digestive, on picore là un Paris-Brest, une tartelette passion, ici un macaron,
une tuile, on pense finir par un chamallow coco et puis le plateau de chocolats
arrive de nulle part pour clore ce menu-crescendo le plus réfléchi et maîtrisé qui soit.
Que cette maison est
belle sans luxe tapageur, sans ces ostentations de flagorneur, chaque table ici
vient plus pour manger que pour se faire regarder. C’est tout le génie de la
famille, d’avoir réussit depuis aussi longtemps à imposer sa vision d’une
Auberge parfaite.
Se tenir au firmament,
tout en dépassant modes et étoiles, attirer dans ce village minuscule toute
l’Alsace et le Monde (dont ses plus hauts dignitaires, passez voir la galerie
de portraits des clients célèbres) pour les régaler, en cherchant sans cesse une
simple perfection…
Voilà ce que fut la mission des Haeberlin depuis plusieurs
générations et, espérons-le, toujours le leitmotiv de toutes celles à venir.
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